Moyen Âge
Créée en 1979 à l'initiative de la Direction du Livre, la série des Catalogues régionaux des incunables des bibliothèques de France (CRI) poursuit, parallèlement au Catalogue des incunables de la Bibliothèque Nationale l'entreprise de recensement général de la production imprimée du premier demi-siècle de l’« ère Gutenberg » (1455-1500) aujourd’hui conservée dans les collections françaises accessibles au public. Sous la responsabilité scientifique du Centre d’études supérieures de la Renaissance, elle participe ainsi à une meilleure compréhension du patrimoine écrit en France.
En facilitant l’accès des chercheurs à ces documents rares et précieux, les CRI invitent aussi un public plus large à les découvrir à travers la diversité de leurs formes, de leurs contenus et de leurs origines. Vecteurs de toutes les connaissances contemporaines et produits des presses actives dans bon nombre de villes européennes, les incunables témoignent des conditions mêmes de la diffusion du savoir à l’aube de la Renaissance. Au-delà des notices bibliographiques qui au fil des volumes prennent en compte les travaux les plus récents, les descriptions analysent en détail les caractéristiques propres à chaque exemplaire : provenance, reliure, mentions manuscrites, décor peint … Là où les archives sont irrémédiablement muettes, les CRI apportent ainsi une contribution spécifique et originale à l’histoire culturelle européenne.
Le Ministère de la Culture et de la Communication apporte depuis plus de trente ans son soutien à une publication qui renouvelle notre regard sur ces témoins d’un moment décisif de l’histoire de l’écrit et de la modernité, sur ce patrimoine qui, aussi robustes que soient ses supports, demeure vulnérable et requiert toute la vigilance de ceux auxquels incombe sa survie.
Dans la continuité de ses travaux sur la polémique (Polémique en tous genres, Cahiers du CADGES, n) 7), le Groupe d’Analyse de la Dynamique des Genres et des Styles (XVIe-XVIIIe siècles) propose ici une nouvelle approche centrée cette fois sur la constitution, l’holution et le statut des querelles littéraires, dans leurs rapports avec les formes génériques, qui peuvent être le lieu d’épanouissement, mais aussi l’enjeu des querelles, Celles-ci portent parfois sur des genres en quête de reconnaissance ou en cours d’évolution, Ainsi la « querelle d’Alceste»), à la fin du XVIIe siècle, ne vise-t-elle rien moins que le statut littéraire de l’opéra, et en arrière-plan, mais de manière essentielle, la nature de la tragédie, tout comme deux cents ans plus tard, le conflit politique et religieux qui oppose Ronsard aux protestants se double d’un débat littéraire qui modifie significativement son écriture et la conception même qu’il se fait de la poésie. Aborder les querelles par les genres dont elles se nourrissent et qu’elles façonnent est bien une question qu’affrontent toutes les communications ici rassemblées : comment le contexte éditorial, le public, le déroulement chronologique de la querelle, induisent-il le recours à tel ou tel genre littéraire? Certaines, quand l’objet s’y prête, vont cependant plus loin et permettent de formuler l’hypothèse que les querelles littéraires pourraient elles-mémes se constituer comme genre ou comme institution. C’est sans doute sur ce point que la réflexion est particulièrement féconde, A quelles conditions une querelle littéraire peut-elle en effet se statufier en genre littéraire? Objet vivant et insaisissable, que l’on identifie comme tel alors quil est déjà largement répandu dans la République des Lettres, les querelles ne risquent-t-elle pas alors, en s’accommodant d’un corpus génériquement stable, de mettre en péril leur existence même ? Car la querelle est par définition frondse, ou si l’on préfère polèmique, non seulement dans son objet mais dans son existence méme, surtout lorsqu’elle est elle-méme une imposture, comme chez Jean de Boyssiéres. Le traitement des genres littéraires dans une querelle peut tantôt les bousculer, tantôt les renforcer. On le verra ici largement à travers des querelles célèbres ou moins célèbres, qui toutes, même si certaines d’entre elles restituent, en filigrane, d’autres enjeux, en particuliers politiques, nous plongent au coeur même de l’institution et de la vie littéraires.
Vaste et luxuriante composition anonyme en prose rédigée, sous sa forme actuelle, vers le milieu du XVe siècle, le roman de Perceforest est une des plus belles réussites littéraires de la fin du Moyen Age. En une grandiose fresque divisée en six parties, l’œuvre évoque les aventures des lointains ancêtres d’Arthur et des chevaliers de la Table Ronde.
Les événements relatés dans la Cinquième partie se déroulent dans le temps d’une année. Les douze tournois de la Fontaine aux Pastoureaux, qui manifestent avec éclat le renouveau de la chevalerie après la destruction de la Grande Bretagne, sont organisés chaque mois. Le chevalier qui parviendra à tous les gagner successivement aura pour prix Blanchette, la fille de Blanche et la petite-fille de Gadiffer et de la Reine Fée. Dans l’architecture de la Cinquième partie, les douze tournois sont les douze piliers qui soutiennent l’ensemble de la construction. Entre ces douze piliers s’entrelacent de nombreuses aventures qui laissent, comme dans les autres parties de l’œuvre, une impression de foisonnement : assassinat de Jules César par les Ursus, amours de Passelion, aventures de Gallafur et de Norgal, interventions salutaires de Zéphir, le démon bienfaisant, histoire de Margon et de Lisane mise en vers dans le Lai de la Rose a la Dame Leale. Dans ce volume, l’imagination débordante de l’auteur n’est pas prise en défaut. On y retrouve les mêmes qualités de style et d’invention qui font l’originalité et l’attrait de cette œuvre incomparable.
Après la publication des quatre premières parties du roman, Gilles Roussineau poursuit l’édition de l’œuvre. Le texte est assorti d’une introduction littéraire, grammaticale et philologique, d’un important choix de variantes, de nombreuses notes, de divers index et d’un glossaire développé.
Un renouveau sensible des études commyniennes, l’élargissement et la diversification de leurs champs coïncident avec le 500e anniversaire de la mort de Philippe de Commynes, faisant de cette commémoration officielle un acte de mémoire bien légitime, mais plus encore peut-être un point de départ pour des interrogations fécondes. Littéraires, historiens, juristes se rejoignent autour de quatre problématiques : une écriture commynienne hésitant entre filiations et création ; une pragmatique politique et ses rapports complexes à l’institution et au droit ; la nature et l’ampleur des réseaux tissés par un des « accoucheurs » de l’Europe ; la transmission sans rupture de l’ « éternel » Commynes, vivant et réinterprété à travers héritiers et passeurs. L’enquête est plus que convaincante : le mémorialiste gagne en relief, en épaisseur et en nuances. Et, du même coup, les interrogations prennent, elles aussi, des formes nouvelles. Ce colloque aura donc été un passionnant épisode dans une série qu’il convient de poursuivre.
Dans l’approche des œuvres littéraires, la critique a toujours eu tendance à privilégier l’imaginaire visuel. Mais les textes du Moyen Age, outre qu’ils relèvent originairement de l’oreille et de la performance, mettent aussi en scène des phénomènes sonores variés, du cri au cliquetis, de la parole à la musique. Ces événements ne sont pas anecdotiques ; ils forment un réseau et constituent un paysage contrasté. D’un genre à l’autre, d’une œuvre à l’autre, l’ambiance sonore varie : la criée épique forme un cadre acoustique bien différent du concert des oiseaux qui ouvre la chanson d’amour et si certaines chansons de geste sont de véritables symphonies, d’autres jouent sur une ascèse. C’est cette poétique du sonore qu’il convient de mettre au jour au terme d’un parcours non restrictif à travers les littératures latine et surtout vernaculaires du Moyen Age. C’est la partition que dessine chaque texte, la Chanson de Roland comme le Conte du Graal, l’Inferno comme les Canterbury Tales, que nous nous proposons d’explorer et d’interpréter.
En 1220, alors que la majorité des médecins d’Occident se fondent désormais sur l’examen des urines de leurs patients pour poser un diagnostic et donner un pronostic, un praticien du nom de Guillaume, originaire d’Angleterre et établi à Marseille, publie un écrit au titre provocateur : son traité De urina non visa, « De l’urine non vue », entendait en effet donner à ses homologues les moyens d’émettre un jugement sur l’état d’un malade en se fondant non sur son flacon d’urines, mais sur la configuration du ciel au moment de la consultation. Par ce pavé dans la mare écrit à la demande de condisciples, il entendait livrer un « mémorial » à la postérité, et ses vœux furent apparemment comblés puisque son livre figura entre autres parmi les lectures au programme à la faculté des arts et médecine de Bologne en 1405. Mais ce traité, copié, cité et utilisé sans discontinuer jusqu’à la fin du Moyen Âge et au-delà n’a jamais pour autant été édité, de même que les trois autres œuvres dues à Guillaume, qui renvoient elles aussi un reflet de la circulation de nouveaux savoirs autour de la Méditerranée au début du XIIIe siècle, en deçà du monde universitaire. Cet ouvrage propose donc la première édition, accompagnée d’une traduction française, de ce singulier opuscule, et retrace sa fortune en se fondant sur l’histoire de nombreux manuscrits récemment détectés, dont est dressé un inventaire.
L’ombre de La Fontaine s’étend si démesurément sur les fables qu’elle a objectivement barré, en amont et en aval, leur horizon critique. Les études réunies dans ce volume, qui constituent les actes d’un colloque tenu à Paris en 2007, explorent l’avant du recueil qui a transfiguré l’apologue et l’a en même temps épuisé : la floraison de recueils qui a préparé au XVIIe siècle l’éclosion du chef-d'oeuvre du genre ésopique, les fabliers humanistes qui les ont précédés et plus avant encore au Moyen Âge les Isopets. Le nom même des premières collections de fables en français souligne leur dette envers les collections gréco-latines dont elles sont lointainement tirées. On trouvera aussi un bilan et un prolongement des travaux importants publiés sur la fable grecque au cours des dernières années, et plus encore sur le domaine latin, décisif pour la naissance du genre ésopique en français : les recueils « classiques » de Phèdre et d’Avianus, ainsi que le champ, plus vaste et plus méconnu, des apologues médio-latins.